Les procès verbaux de levées de cadavres sont une source méconnue. En montagne ces procédures sont souvent les échos d’histoires tragiques. Louis Gérard, habitait au beau milieu de la forêt de la Brande sur les hauteurs du lac de Longemer. Il effectuait ses déplacements à pied quand bien même la neige rendait ces périples pénibles. Mais cet hiver 1723 la neige était tombée en quantité importante. Il s’était rendu à Saint-Dié et n’est jamais parvenu à regagner son domicile. Son frère, parti à sa recherche, l’a retrouvé, enveloppé dans la neige aux environs de Belbriette, à quelques hectomètres de son domicile. Seul, il n’a pas pu récupérer le corps de son frère pour le mettre en terre.
Pour pouvoir l’inhumer, il adresse une requête à Monsieur Féburel, capitaine, prévost et chef de police de la prévôté de Bruyères. Cette demande est entendue par le procureur du bailliage qui requiert dès le lendemain une expédition de notables de la commune pour lever et reconnaître le corps.
Les levées de cadavres sont effectuées « lorsqu’il arrive un fait grave dont la preuve est existante, comme celle d’un cadavre gisant ». Il est alors procédé, par un commissaire, à une reconnaissance pour établir les conditions du décès. La procédure contient donc une foule de détails :
« Dans le procès-verbal de levée de cadavre, le commissaire […] fait la description de la situation, des blessures du cadavre, l’inventaire de ses nippes et de ce qui se trouve sur lui, des armes qui peuvent se trouver, tant sur lui que sur le lieu, des déclarations & observations du chirurgien ; appliquer son cachet sur le front du cadavre, & pour statuer sur son inhumation ou conservation. » Commentaire sur les ordonnances de Lorraine, civile, criminelle et concernant les eaux et forêts, À Bouillon, aux dépens de la société typographique, M DCC LXXVIII (1773).
L’existence d’un procès-verbal de levée de cadavre est généralement indiquée dans l’acte de sépulture :
Ces procédures sont conservées dans la série B, dans les archives des juridictions. Pour Gérardmer, en 1723, la juridiction concernée est le bailliage de Voges (ou de Mirecourt) et à l’échelon inférieur la Prévôté d’Arches. Le découpage des juridictions est parfois assez complexe, il convient de se référer à l’introduction de l’inventaire de la sous-série B.
On peut ainsi retrouver les circonstances du décès de ce Louis Gérard.
La procédure (Arch. dép. des Vosges, B 753) contient la requête du frère :
J’ay l’honneur de vous écrire ce mot néanmoins avec un chagrin mortel de la mort funeste et déplorable de mon frère Louys Gérard demeurant dans un nouveaux assencement proche celuy de monsieur Le Gruyer à la Brande, lequel retournant ché luy mardy ou mecredy dernier venant du val St Diez à pied malheureusement a resté mort de fatigue et de lassitude dans la montaigne de Belbriette à une demye heure de ché luy, envelopé dans la neige et comme le territoire ou il [est] de votre prevoté et par consequent de votre compétence. Je prend la liberté monsieur de vous très humblement prier de vouloir permettre s’yl vous plaist de le faire inhumern au plus tot estant impossible à personne de pouvoir resister pour garder le cadavre a cause du grand froid, et de la quantité de neiges qu’il y a dans les montaignes comme vous savé, n’y pouvant faire de feu, sy au cas vous trouvié à propos d’y envoyer quelques personnes de votre part, je vous prie de le faire à moindre frais que vous pouvé, estant très pauvre, obesé de debtes et qui a delaissé neuf enfants, qui est un gros embarast qu’il nous a laissé à notre conduite, vous sauré qu’il est impossible d’y pouvoir aller à cheval et bien de la peyne et de la difficulté d’y aller à pied, ayant l’honneur de connoître votree bon [?] j’espère que vous auré compassion de ses pauvres orphelins, je ferai une obligation très particulière que je vous auray toutte ma vie et auray l’honneur de vous temoigner mes reconnoissances estant très parfaitement du meilleur de mon coeur avec bien du respect.
et le procès verbal de levée de cadavre :
Cejourd’huy douzième fevrier mil sept cent vingt trois à Gérardmer cinq heures de re[.]
Nous Claude Paxion ancien tabellion en la prevosté d’Arches résidant audit Gérardmer, ensuitte des requisitions de Monsieur Lanaux procureur de S.A.R. du bailliage de Bruyères de cejourd’huy portantes qu’il tient d’estre informé qu’un nommé Loüis Gérard demeurant dans un assencement nouveaux dit à la Brande auroit esté trouvé le jourd’hier mort dans les neiges dans la montagne de Besbriette et qu’estant important de procéder à la levée du cadavre, pour de suitte estre inhumé, requerant qu’attendu la longueur du chemin qui est actuellement impraticable il soit nommé des personnes notables pour se transporter vers le cadavre pour en faire la levée et reconnoissance pour estre ensuitte inhumé et de tout procès verbal dressé pour estre renvoyé au greffe dudit Bailliage pour iceluy veu…
et communiqué estre requis ce qu’au cas appartiendra ;
Le decret de Monsieur Doridant Lieutenant General audit bailliage dudit jour douze fevrier, et au bas desdittes requisitions et relatif à icelles, par leque au surplus il donne pouvoir de transporter sur le lieu pour faire la levée du corps mort et en dresser procès verbal ;
En conséquence de tout quoy nous nous sommes en effect transporté dans laditte montagne de Besbriette a environ deux cent pas de l’assencement dudit Loüis Gerard du costé du Valtin, à l’endroit ou le ruisseau de la petite droite tombe dans celuy de Besbriette ; ou nous aurions en effect trouvé le corps mort dudit Loüis Gerard, au pied d’un sapin, [étendu] sur son dos, les deux mains sur son estomach, son chapeau sur sa teste et un baton croisé entre ses jambes, bardé par plusieurs de ses pi[?]…
et voisins, témoignant par cette posture avoir esté suffocqué par la grande abondance des neiges qui sont dans ce canton ; ensuitte de quoy nous l’aurions fait transporter en notre presence dans sa maison, ou après l’avoir fait visitter nous n’aurions reconnu aucun coup, bleffure n’y meurtrissure sur aucune partie de son coprs ; […] après l’avoir fait fouiller, on auroit trouvé […] toutes ses pôches scavoir un chapelet, […] couteau, quatre sols de monoye et […]x pièces de gateau ; Ce fait [?] aurions fait ensevelir et inhumer le corps dudit Loüis Gerard en manière auccoutumée et du tout dressé le present procès verbal pour servir et valoir ce qu’au cas appartiendra fait audit Gerardmer…
7 réponses sur « Une levée de cadavre en montagne »
N’étant pas de cette région, je ne connaissais pas. D’où l’intérêt de cet article pour nous permettre de connaître cette particularité. Merci.
Ce n’est pas une particularité de notre région. Les procès verbaux de levées de cadavres ont été dressés partout en France à ma connaissance.
Il faut chercher dans les archives des juridictions d’ancien régime, souvent la série B aux Archives départementales. Par contre ces archives sont souvent très lacunaires.
Ouah impressionnant c’est la première fois que j’entends parler en généalogie de la levée de cadavre ainsi dans des actes j’avais vu en raison du mauvais temps et de la neige que certaines personnes retrouvées morte avaient du avoir la levée du corps quelques jours après le décès je pensais qu’il s’agissait de l’inhumation mais en fait non. Merci pour cette découverte ! 🙂
Je ne connaissais pas cette source ! Merci pour le partage.
Le #ChallengeAZ est également une bonne façon de voir au delà des sources classiques en généalogie !
Je ne connaissais pas non plus ces sources pourtant très intéressantes !
Bravo Simon
« les deux mains sur son estomach, son chapeau sur sa teste et un baton croisé entre ses jambes, gardé par plusieurs de ses parents »
Gérard D
[…] Voir aussi : Une levée de cadavre en montagne […]